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L’enseigne né d’un divorce rugueux au sein du groupe Leclerc fête ses cinquante ans. Intermarché, c’est à la fois une saga bretonne et un positionnement original avec un réseau d’usines, une flotte de pêche et une présence dans trois pays européens : Belgique, Portugal et Pologne. Entretien avec Thierry Cotillard son président.

L’enseigne Intermarché vient d’installer ses fonctions supports dans un bâtiment de  3000 m2 à Vitré, près de la gare. Un choix stratégique d’ancrer ses activités au plus près des territoires. Le groupe qui fête ses cinquante ans innove aussi côté relations clients : reformulation des produits, installation de commerces de proximité, service de drive…

Thierry Cotillard, le président d’Intermarché, explique la stratégie de l’entreprise. Entretien.

Carrefour, Casino, Auchan souffrent. Et vous ?

Le consommateur change. C’est une évidence. Il est de plus en plus exigeant et veut avoir des informations précises sur les produits qu’il achète. 30 % utilisent une appli comme Yuka ou son équivalent. Il est de plus en plus sensible à l’impact de son alimentation sur sa santé et à la question des additifs. S’y ajoute l’écologie et ce ne sont pas les dernières élections européennes qui vont me faire dire le contraire.

Comment répondre à ces nouvelles attentes des consommateurs ?

Nous allons reformuler 850 produits de nos marques. Pour nous, c’est plus facile car nous avons notre propre outil de production avec les usines d’Agromousquetaires. Nous venons aussi de créer avec Agrocampus Ouest une chaire de recherches Mieux produire pour mieux manger. Cette transformation ne doit pas faire oublier la question du prix qui reste essentielle et sur laquelle nous nous battons. 20 % des consommateurs sont à l’euro près quand ils font leurs courses alimentaires.

Parlons-en. Il y a quelques mois, votre promo à 70 % sur le Nutella a provoqué des scènes d’hystérie. Est-ce que vous avez des regrets ?

Notre volonté c’était de permettre à des consommateurs de s’offrir du Nutella au moment de la Chandeleur pour les crêpes de leurs enfants. Mais nous n’avions pas prévu les scènes d’incivilité générées par cette promotion.

Emmanuel Macron appelle les industriels et les agriculteurs à monter en gamme. C’est une chance à saisir ?

Nous vivons une transformation en profondeur mais il faut se donner un peu de temps pour l’organiser. Prenez la question des pesticides. Nous proposons de plus en plus de produits ZRP (zéro résidu de pesticide) mais si nous voulons aller plus loin, cela implique d’aider les agriculteurs à changer de modèle.

Cela implique de nouvelles relations avec les agriculteurs ?

À l’horizon 2025 ou 2030, les 20 000 agriculteurs qui travaillent avec Intermarché seront certifiés haute valeur environnementale. La contractualisation est un bon outil pour accompagner ces transitions et donner de la visibilité nécessaire aux agriculteurs pour investir. Avec les producteurs de porc, nous contractualisons sur douze ans.

Est-ce que certaines expériences à l’étranger pourraient nourrir votre transformation ?

Nous sommes présents au Portugal, en Belgique, en Pologne… Nous faisons aussi des tournées à l’étranger pour regarder ce qui s’y passe. Jumbo qui est une enseigne néerlandaise nous intéresse parce qu’elle fait déjà ce vers quoi nous nous orientons avec plus de préparations, de repas sur place avec des cuisines. Nos adhérents belges ont copié le concept. Et depuis, ils ont peut-être la plus grosse croissance de la distribution en Europe avec + 10 % ces deux dernières années. Ils ont fait la part belle aux produits frais, créé la cuisine. Notre nouveau concept n’est pas le fruit du hasard.

Les consommateurs veulent toujours plus de services ?

Oui, c’est une tendance très forte. Pouvoir acheter des plats préparés, commander du bureau ou de sa cuisine les produits dont il a besoin, être soulagé des paquets d’eau ou de lait.

Est-ce que la montée en gamme que vous évoquez peut nourrir de nouveaux marchés à l’export pour vos usines ?

La marque Pâturages de notre laiterie se vend à l’étranger tout comme les sardines de Lorient de Capitaine Cook. Mais nous laissons chaque pays dans lequel nous sommes présents avoir sa politique. Pendant des années, nous avons voulu leur imposer nos gammes et ça ne marchait pas. En revanche pour développer les exportations de nos usines, nous le faisons désormais auprès d’enseignes partenaires.

Depuis trois ans, nous avons un projet très ambitieux pour aller en Afrique, à Madagascar, l’île de la Réunion. C’est en pleine croissance et nous avons du mal à répondre à la demande. Les produits fabriqués dans nos usines sont commercialisés sous le nom de l’enseigne en y ajoutant By Intermarché. On est en train d’approcher la Chine. On voit l’appétence pour les produits Made in France. C’est un vrai gisement de croissance.

Vous participez ainsi à la transformation du modèle breton si souvent décrié comme trop bas de gamme ?

Il ne faut pas oublier l’agroalimentaire. Nos usines sont là et elles vont y rester. Nous y avons beaucoup d’investissements. Il faut absolument avoir un schéma vertueux. On part d’un modèle où il fallait produire beaucoup pour pas cher.

Demain, ce sera sans doute moins mais avec des produits certifiés. L’avenir de la Bretagne est à jouer la qualité. Toutes nos usines bretonnes afficheront bientôt le logo Produit en Bretagne avec le cahier des charges et les valeurs qui valorisent cette offre.

Les promos sont désormais encadrées par la loi. Mais la guerre des prix se poursuit. Insupportable estime l’ANIA (Association nationale des industriels de l’agroalimentaire)…

Les promos sont en baisse de 2 % en valeur et en volume et la consommation alimentaire en baisse de 0,1 % mais en hausse de 1,8 % en valeur. Les Français consomment donc moins mais mieux ou en tout cas des produits mieux valorisés. Pour Intermarché, les ventes de bio sont en hausse de 30 % et représentent désormais 6 à 7 % de notre chiffre d’affaires.

Pourtant beaucoup d’industriels se disent étranglés. Passer des hausses de prix c’est se lancer dans une guerre de tranchée. Ça se passe comment chez vous ?

J’ai eu des retours comme quoi les négociations avaient été très musclées cette année. J’ai vérifié. Apparemment, ça ne venait pas de chez nous. On fait la différence entre les PME et les multinationales.

Mais il peut y avoir des écarts. Je demande de soigner la forme. On peut être exigeant mais il faut être respectueux des interlocuteurs. Cette année, on avait décidé de passer des hausses sur les PME.

Est-ce que vous avez un code de conduite ?

Il y a un code de conduite avec les PME. On a même créé un club partenaires avec dix d’entre elles. On réfléchit entre les synergies imaginables avec notre groupe industriel. On peut leur faire bénéficier de notre politique d’achats mais aussi assurer la diffusion de leurs innovations en les proposant à tous nos magasins.

Ces structures n’ont le plus souvent pas de force de vente capable d’aller visiter tous nos magasins. On leur dit, on va envoyer ce produit innovant en flux poussé sans que le magasin ait à le commander. C’est un vrai plus.

Certains industriels n’ont pas réussi à passer des hausses liées à l’augmentation de leurs coûts de production. Pourquoi ?

Parce qu’il y a un défaut de transparence. Quand Bel ou Savencia viennent nous voir en disant que le prix du lait des producteurs doit être à 370 € et que cette hausse leur est bien transmise, on peut trouver un accord qui permet de soutenir des producteurs français. Mais quand un vendeur de pâtes veut passer une hausse de 9 % et que son approvisionnement en blé français ne représente que 20 %, on refuse. Promettre qu’en 2024 il sera à 60 % d’approvisionnement français n’est pas satisfaisant.

Beaucoup d’industriels sont au frein sur l’étiquetage nutritionnel. Pas vous, pourquoi ?

Avec le Nutri-Pass, nous avons été les premiers à mettre en place un étiquetage nutritionnel en 2006. Nous sommes favorables au Nutri-Score et nous y adhérons. Le consommateur est en droit de savoir ce qu’il y a derrière l’étiquette.

Mais certains produits seront toujours dans le rouge ?

Il y aura évidemment toujours trop de sucre dans la confiture, trop de gras dans le beurre. L’alimentation, c’est aussi une question de proportion et d’équilibre. Plus le consommateur aura une information précise, plus il sera en mesure de faire ses arbitrages. Il faut informer et éduquer. Ceci étant, nous réfléchissons quand même à la politique à conduire. Il est possible qu’il faille un jour s’interroger sur certains produits par exemple trop sucrés en choisissant de ne plus les vendre. Ça peut être un combat à mener avec des décisions très radicales.

Vous pouvez résister à l’appétit d’Amazon qui se lance dans la distribution de produits alimentaires ?

Il faut avoir beaucoup d’humilité face à un géant comme Amazon qui dispose de moyens considérables et peut compter sur d’autres sources de revenus que la seule vente de produits alimentaires avec les commissions sur les moyens de paiement, sa web agency… Cela nous oblige à revoir nos métiers, notre force logistique. 1 200 Intermarché ont déjà un service drive qui représente 3 % de notre chiffre d’affaires. À terme 100 % des magasins proposeront ce service. Nous voulons aussi proposer de la livraison à domicile comme le fait Amazon à Paris. Notre force c’est d’avoir un point de vente tous les 17 kilomètres en France.

Est-ce que ce sera suffisant ?

Nous voulons donner des raisons supplémentaires de venir dans nos magasins, offrir des produits traiteurs et locaux. Le consommateur veut passer moins de temps en cuisine. Nous allons ouvrir un nouveau concept de magasin à Douvaine (Haute-Savoie) à la frontière suisse à la fin du mois de juillet qui proposera ce type de services. D’autres magasins tests suivront en Bretagne en 2020.

De plus, nous voulons développer une place de marché digitale qui complétera l’offre des 15 000 références proposées dans nos rayons. Nous en aurons entre 100 000 et 150 000 avec une personnalisation en fonction des régions. Nous voulons avoir l’offre la plus locale possible. Nous voulons devenir le « Amazon » français de l’alimentaire.

Intermarché, une saga bretonne

Intermarché, c’est d’abord l’histoire d’un homme : Jean-Pierre Le Roch. Né dans une famille de paysans modestes du pays morbihannais, il émigre après la Seconde guerre mondiale au Brésil avec ses parents où il devient mécano, pilote automobile avant de revenir en France.

Il participe à l’aventure du développement de l’enseigne Leclerc mais se brouille avec Edouard Leclerc en 1969. Un divorce rugueux entre deux hommes qui ne partagent pas la même vision du métier de distributeur. Lors de cette séparation, Jean-Pierre Le Roch emmène 92 autres patrons de magasins. Ensemble ils vont créer Ex offices de distribution qui deviendra Intermarché en 1973. La particularité de ce distributeur, c’est d’avoir fait le choix de disposer de son propre réseau d’usines, 62, pour assurer ses approvisionnements alimentaires. Il possède également une flotte de pêche.

Intermarché a un réseau de 2 366 points de vente en Europe : France (1 826), Portugal, Belgique, Pologne. En France, les magasins Intermarché emploient plus de 90 000 salariés pour un chifre d’affaires de 31 milliards d’euros. En Bretagne, Intermarché emploie 15 000 salariés.